14 mai 2006

Tou(te)s sur le trottoir - Les prostituées et la mobilisation sociale -

Drapeaux arc-en-ciel, ballons rouges, talons aiguilles, décolletés provocants et sifflets à la bouche, un cortège de manifestants hors du commun se met en route, samedi 18 mars, Place Pigalle. Une centaine de prostituées a décidé de se faire entendre dans un défilé haut en couleurs arpentant les rues de la capitale.

« Ni victimes, ni coupables, fières d’être putes ! »
« Ni victimes, ni coupables, fières d’être putes ! » hurle Zézetta Star dans son mégaphone. A l’occasion du troisième anniversaire de la loi Sarkozy, les prostituées réclament de la reconnaissance. Elles veulent un statut, mais surtout l’abrogation de cette « loi pour la sécurité intérieure », mise en application en mars 2003. (Voir encadré) Le texte sanctionne le racolage passif, notion laissée à l’appréciation de la police. Des prostituées se font ainsi arrêter lors de leurs courses, relate l’une d’elles. Elle craint les rackets ou les viols. « On te dit « laisse-toi baiser sinon je t’embarque et t’es expulsée ! » Alors, imagine, t’es d’origine algérienne, sans papiers et trans. Si on te renvoie en Algérie, c’est une condamnation à mort direct, alors tu obéis ! ».
Outre la violence, le travesti dénonce l’inefficacité de la loi face à la lutte contre le proxénétisme, pourtant objectif premier du texte. « Pour 120 arrestations de proxénètes en 2002, avant la loi, on passe à zéro en 2004 et 2005. » affirme-t-elle. La LSI n’aurait que renforcé la clandestinité et le proxénétisme. « Ca a obligé les filles à quitter les lieux traditionnels, et elles sont tombées sous la coupe de proxénètes. Maintenant certaines paient 300€ par jour pour bosser ! ».

« Nous voulons des droits, pas de bla bla bla !! »
En tête de cortège, une imposante crinière d’un blond vénitien, un manteau de fourrure, de larges boucles d’oreilles et des bracelets clinquants, Camille Cabral, le visage maquillé à outrance ne passe pas inaperçue(voir portrait). Ce transsexuel franco-brésilien, fondateur de l’association PASTT (Prévention, action, santé, travail pour les transgenres) crie son mécontentement avec son accent brésilien et brandit, de ses mains chaussées de mitaines en résille, des pancartes « Nous voulons des droits, pas de bla bla bla !!». Ces droits ? L’accès à la sécurité sociale, la retraite, les congés maladie et maternité. « Je demande la reconnaissance du travail sexuel comme profession. Nous devons nous constituer en coopératives, avec un statut de libérales. Comme font les médecins en cabinet collectif ! ».
A ses côtés, une grande brune élancée, perchée sur talons hauts: Maîtresse Nikita, alias Jean-François dans le civil. Il se travestit depuis 31 ans pour jouer la dominatrice avec ses clients. Il travaille depuis l’âge de 15 ans et aujourd’hui, réclame des droits. En octobre dernier, présent à une rencontre de prostituées à Bruxelles, il prend conscience que la situation française « est quasiment aussi catastrophique qu’en Russie ou en Moldavie ». Il fonde alors, avec trois autres travailleurs du sexe, le groupe « les Putes ». Une association qui se veut un « groupe non-mixte d’auto-support et de lutte contre la putophobie ». Ce groupe d’activistes offre un genre nouveau dans le paysage des associations de prostituées.
Dans les années 80 apparaissent en effet des mouvements de prévention et d’aide face au sida. Les revendications politiques n’occupent qu’un second plan, suivant les aléas de la politique nationale. Lilian Mathieu, chercheur au CNRS, les dépeint néanmoins déjà comme des associations qui se placent du côté des prostituées : « Contrairement aux travailleurs sociaux qui envisagent la prostitution comme une inadaptation sociale, et qui incitent les prostituées à se réinsérer, ces associations ont une conception plus valorisante de la prostitution. Elles se sont faites les relais des revendications des prostituées et ont appuyé celles qui se sentaient l’âme la plus militante. »
Au sein de ces associations récentes, certes des travailleurs du sexe, mais toujours des travailleurs sociaux. Une situation que Les Putes a voulu renverser : leur groupe est composé à 100% de travailleurs du sexe, qui s’expriment pour eux-mêmes « il y en a assez d’entendre des psychologues, des sociologues parler de notre métier alors qu’ils le connaissent même pas ! Les seuls experts de notre métier, c’est nous ! » appuie Maîtresse Nikita, le sourire aux lèvres. Le but premier affiché par le collectif n’est plus la prévention mais bien l’action politique.
Une implication sur la scène publique qui ne va pourtant pas de soi dans le milieu de la prostitution, traditionnellement milieu discret. « Ce sont des gens qui ont très peu le sentiment d’avoir une légitimité à intervenir dans le débat publique, affirme Lilian Mathieu, ils viennent généralement de couches de la population très défavorisées, qui ont un très faible capital scolaire. » En outre, les prostituées « traditionnelles » refusent souvent de se montrer, de peur que leur famille souffre de cette profession stigmatisée.
« Mais il y a aussi des personnes qui marchent la tête haute avec leurs pancartes. » soutient Camille Cabral, pleine d’espoir. Pour Lilian Mathieu, ces personnes, à l’image de Maîtresse Nikita, « occupent une position dominante dans le monde de la prostitution, par exemple celles spécialisées dans la clientèle masochiste. » Comme dans la population française, les hommes s’intéressent plus à la politique. Aussi, Lilian Mathieu note que « les gens qui se mobilisent le plus sont des transsexuels, des gens qui ont été socialisés comme hommes. Ce qui leur reste d’identité masculine les induit à davantage s’engager, à faire entendre des revendications.»

« Vous couchez avec nous, vous votez contre nous ! »
Autre objectif avoué de l’organisation Les Putes : sensibiliser les partis politiques. « On est en train d’exiger des partis politiques un certain nombre de rendez-vous, pour exposer notre façon de penser et les convaincre que c’est la bonne ! ». Pour l’association, les présidentielles de 2007 représentent un enjeu essentiel : elle espère voir figurer la transformation du statut des prostituées dans les programmes.
Le long du défilé, on essaie de rallier ces hommes politiques : « Vous couchez avec nous, vous votez contre nous ! » scandent les prostituées dans les rues de Paris. Maîtresse Nikita, elle, se considère paradoxalement plus optimiste avec les partis de droite, réputés pourtant plus traditionalistes. « Je pense qu’on aura plus de succès à droite, eh oui… c’est quand même beaucoup plus nos clients ! » glisse-t-elle malicieusement…


La LSI


18 mars 2003, la Loi sur la Sécurité Intérieure, dite Loi Sarkozy, est votée. Une loi qui veut défendre, entre autres, les prostituées. Celles-ci y voient plutôt un synonyme de persécution. L’article L50 de ce texte crée en effet la notion de racolage passif, un délit non défini, passible de 2 mois de prison et 3750€ d’amende. « Racolage passif ? Cela ne veut rien dire, être sur un trottoir peut suffire » confiera Maître Boussardo.

Mais pour cette avocate parisienne, « dans les faits, ça n’a pas changé grand-chose ». L’objectif était surtout de trouver un « moyen d’avoir une garde à vue et tenter d’avoir des informations sur les réseaux ».

Trois ans après, on constate que « très peu de décisions ont été prises là-dessus : les interpellations ne suffisent souvent pas pour conduire les prostituées devant un tribunal, et encore moins à les condamner ».

L’avocate explique néanmoins que les prostituées ont dû changer leur manière de travailler, pour échapper aux gardes à vues. Car même sans condamnation, les interpellations représentent des menaces. Reste en outre le problème des sans-papiers, qui, une fois interpellés, risquent d’être renvoyés dans leurs pays d’origine.




Camille Cabral

Quand elle rentre dans les locaux de son association, les prostituées présentes lèvent spontanément la tête vers cette grande femme : des regards et des sourires mêlés d’admiration et d’envie. Camille Cabral est engagée depuis plus de 15 ans. Lorsqu’elle travaillait à l’hôpital Saint Louis, cette dermatologue, elle-même transsexuel, a perçu la vulnérabilité de cette population. « J’ai essayé de faire quelque chose pour eux. Nous avons fait des réunions avec le gouvernement. Et nous avons lancé une association ».
Première du genre, elle s’est fait ensuite élire conseillère municipale dans le XVIIème arrondissement parisien. « Je suis une personne très combative » souligne-t-elle. Elle implique les prostituées à la vie politique locale, en les encourageant à venir aux réunions.
Pour Lilian Mathieu, auteur en 2001 de Mobilisations et prostituées, Camille Cabral a rapidement trouvé sa place auprès du public transsexuel : « Elle est médecin, elle est brésilienne, elle est transsexuel, ce qui lui donnait une légitimité à mener une prévention contre le sida auprès des travestis et transsexuels. Elle savait de l’intérieur quels étaient les besoins de cette population et avait une compétence médicale qui l’habilitait à faire de la prévention. »
Maîtresse Nikita, la présente comme « quelqu’un qui mène une lutte quasiment seule depuis des années ». Un combat qui se révèle difficile au quotidien : « l’autre jour, on était au bois en train de tracter ensemble, on s’est fait un peu massacrer par les flics, ils l’ont insulté en disant « monsieur, vous n’avez rien à faire déguisé ici » ».
Mal perçue par une partie de la population, Camille Cabral souhaite pourtant continuer son combat. « Je voudrais me représenter aux prochaines élections, mais il y a beaucoup de magouilles dans les partis. Pour la députation, les adhérents [Verts] ont voté pour Alain Lipietz en tête de liste, puis pour moi ! Pourtant, on m’a mise à la quatorzième place ! ». Malgré ces difficultés, elle s’accroche pour 2008 : « je vais me présenter, mais je sais pas si je vais être la candidate ! »

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